Design interview avec Jérôme Charlez
Il y a quelques temps j’écrivais “Faut-il un bon client pour faire un bon design” un article sur mon blog qui relatait de la relation complice entre client et designer. Dans cet article, que je vous invite à relire, (3 min de lecture) je tentais de disséquer l’une des clés de réussite d’un bon projet de design à savoir : la qualité de son commanditaire.
Article “Faut-il un bon client pour faire un bon design”
À l’issue de ce billet, j’ouvrais sur de futurs interviews de clients avec lesquels j’entretiens une relation, parfois aux longs cours, souvent très amicale, et surtout assurément de confiance et de respect mutuel.
J’invite,
JÉRÔME CHARLEZ
Global Head of e-Commerce, Retail Supply Chain and Omnichannel Transformation at L'Oréal
Jérôme, on a eu l’occasion de travailler ensemble à diverses reprises et de fonder une Start-up à l’aube des objets connectés, peux-tu nous dire ce que tu fais aujourd’hui chez L'Oréal ?
Je suis en charge de la supply chain e-commerce et retail pour le groupe et travaille sur la mise en place de services pour le consommateur créant le lien entre ces attentes online et offline. C’est une activité en forte croissance au sein du groupe.
Quelle relation entretiens-tu avec le design ? Quel type de design achetes-tu ? Design de marque, de message, de services, produits ou espace, etc.
Je suis très sensible au design ! Produit marque, app, cela m’arrive d’acheter des choses uniquement pour leur design. Ici dans mon bureau j’ai par exemple un ampli à lampe des années 50. Et pour moi c’est ça le design ! Un objet qui me touche et qui a une fonction. Un objet qui me parle.
Quand j’achète une revue j’aime la maquette, les photos ou la ligne editoriale. Pour moi le design c’est ça, une belle connexion entre contenu et contenant.
Pour toi, à quoi sert le design ?
Emotion et fonction mais aussi 2 choses que tu m’as appris ;-)
1. Un bon design n’a pas de DLC !
Pour moi c’est évident qu’un mauvais design est obsolète à sa naissance. Le presse-agrume de Stark, les fauteuils de Charles et Ray Eames, certaines architectures tel que le Guggenheim de NYC, sont des choses qui ne vieilliront jamais ! Sans doute que ces œuvres de design peuvent être limitées par la technologie de leur époque mais elles ne nuisent pas dans à leur environnement. Au contraire.
2. La simplicité
Le design n’est jamais industrieux. Un bon design rend simple. Il simplifie un truc qui est d’habitude compliqué. Si on avait pas inventé les pictogrammes tel que le petit bonhomme et la porte, et bien il est fort à parier qu’il y ai plus d’accidents liés aux sorties de secours ! Un bon dessin vaut mieux qu’un long discours ! N’est-ce pas ?
Et il n'a pas changé depuis son origine, il est universel.
Le design a-t’il un rôle important dans ton activité ? Quelle est sa place dans ton quotidien ?
Les objets design sont dans mon quotidien depuis toujours ! Par mes parents, puis par ma formation … ou dans mes jobs précédents chez Orange, dans le groupe La Poste et aujourd’hui chez L'Oréal.
J’ai toujours été confronté à des objets mais je n’ai jamais vraiment été partie prenante dans ces créations. À l’inverse mon truc c’est le design de services. Et les deux sont de plus en plus liés. Il est rare que l’un aille sans l’autre.
On y a d’ailleurs été confronté ensemble quand nous avons monté notre startup qui mêlait design d’application et design d’objet.
Chez L'Oréal le design est crucial. Ici on design énormément. Les produits ont tous des histoires, des sources, et sont vecteurs d’émotions.
Estimes-tu que le design améliore vos services ou votre notoriété et peut on dire que cela génère un retour sur investissement ? Pour le dire autrement, dirais-tu que le design est rentable ?
Le design est un ROI massif ! Ne serait-ce que par l’intemporalité.
Quand tu fais le calcul de la valorisation d’une entreprise, imagine la valorisation d’une boite qui a une valeur éternelle ?! C’est fou !!! Si le design est bien pensé il donne une cote éternelle à la boîte. Regarde les fauteuils des années 50. Ils n’ont jamais dévalorisé la boîte. Au contraire. Les éditeurs de meubles se frottent les mains des contrats signés avec les designers. Les exemples ne manquent pas je ne vais pas te reparler d’Apple...
J’ajouterai : Quand tu créés une boîte tu utilises une calcul qui se nomme le discount cash flow pour en mesurer la valorisation : tu prends la projection de tes revenus sur les X prochaines années en ajoutant le facteur de risque. Si tu imagines que ton cashflow futur est supérieur à ton cashflow présent et que ta valeur à la fin est encore largement supérieure à ton cashflow là tu arrives à des calculs de valorisation qui sont largement au delà de ce que t’as couté le design !
Si le design est bien pensé il donne une cote éternelle à la boite.
Peux-tu citer un de tes projet où le design a changé la donne significativement ? (Rentabilité, notoriété, valeur ajoutée, image de marque, marque employeur, etc)
Quand je suis rentré chez France Télecom Mobile (qui deviendra Itinéris puis Orange) il n’y avait jamais vraiment eu de sujet sur le design de la marque dans le sens global, c’est à dire les services, les magasins, bref l’expérience ! Quand on est passé Orange, il y a eu un focus important sur la définition de l’expérience que l’on voulait offrir. Aujourd’hui non seulement l’identité a 20 ans mais tu me confirmeras qu'elle n’a pas bougé ! Typo, couleur, les codes etc. Et en même temps elle est devenue hyper forte et a naturellement englobé tout le groupe France Telecom. C’est devenu plus fort et principalement grâce à l’effort lié au design de la marque et des services qui était colossal à l’époque.
Pour conclure, pensez-tu que le design est un métier d’avenir, ou plutôt une filière en voie d’extinction ? Pour le dire autrement, encouragerez-tu tes enfants à faire des études pour devenir designer ?
Oui métier d’avenir bien sûr, mais le seul sujet c’est la question de la complexité de ce métier !
Il faut être en même temps être conservateur de musée et être capable d’embrasser tous les codes, l'histoire et les grammaires du design passé, il faut de la liberté pour envisager les choses différemment et créer sa patte tout en acceptant d’échouer. Et puis une faculté de projection qui va avec une remise en question systématique de sa façon d’opérer. Le monde va tellement vite que le designer doit s’adapter chaque jour au monde qui l’entoure. Cela demande une éventail de compétences hallucinant.
Et tes enfants ?
Oui je les encouragerait mais je leur souhaite surtout d’avoir suffisamment de talent pour y parvenir !
Merci Jerôme, et surtout merci d’enrichir le débat sur le design par ton point de vue de faire avancer le roue. Je trouve que cela participe à faire passer des messages de vertueux sur mon métier.
Merci !